J’ai passé mon enfance à vous donner des noms, à vous choisir des pères sortis des romans que je dévorais. J’ai dressé une liste de vos qualités, mettant de côté vos défauts (dans ma tête, vous étiez parfaits !). Je savais quel genre de mère je voulais être : demandez à mes poupées (si elles étaient encore là) et elles vous raconteraient tout.
A l’âge adulte, la réalité a défié la fiction. Mes critères avaient changé : jeune dame veut enfants en bonne santé, intelligents et remplis de joie de vivre. Vous avez chacun choisi de naître, selon vos propres conditions. J’avais pourtant mes plans mais vous tous aviez les vôtres. Je me suis laissée docilement faire, persuadée que les voies du Seigneur sont impénétrables. En vous tenant dans mes bras pour la première fois, la douleur a eu un autre goût : doux et amer. Mon cœur rempli d’amour occultait mes autres sensations. Je me rappelle même avoir offert à Dieu ma vie pour toi ma fille lorsque j’ai eu l’impression que tu ne respirais pas bien dans la salle d’opération.
Je vous nourrissais, vous me souriiez ; je vous berçais, vous me caressiez le visage. Il y avait des jours avec et des jours sans, des hauts et des bas, des moments où je frôlais la dépression car je sentais que vous résumiez ma vie. Cependant, bien vite, le sens du devoir et l’amour maternel prenaient le dessus sur les larmes.
Pourquoi m’avez-vous choisie ? Certains jours, je me remets en question : suis-je une bonne mère ? Est-ce que j’utilise les bonnes stratégies ? Pourquoi est-ce que j’ai crié lorsque vous n’avez pas voulu obéir pour la énième fois ? Pourquoi ai-je tapé alors que j’étais trop énervée ? Pourquoi me suis-je laissée berner par vos regards innocents et insistants ? Pourquoi le remords m’a-t-il envahie après vous avoir grondés ? Pourquoi… ? Pourquoi… ? Pourquoi… ?
En fait, il n’y a pas de guide pour être maman, simplement parce que chaque enfant est unique. Pardonnez-moi si parfois, je suis trop sévère (vous me remercierez plus tard de toute façon). Lorsque le doute m’envahit, je repense à mes critères et je continue mon chemin. Les difficultés existent bel et bien : vous boudez, vous tapez du pied, vous argumentez, vous négociez et vous gagnez. Puis je me rends à l’évidence : je ne suis pas parfaite. En fait, aucune mère ne l’est. Nous sommes juste des êtres humains qui veulent élever d’autres êtres humains en bonne santé, intelligents et remplis de joie de vivre.
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