Ma mère était à l’hôpital. Or, un matin, alors que j’étais à son chevet, je la vis ouvrir ses yeux et me lancer un regard perçant, gênant pour moi car je sentais ma mère lire en moi comme dans un livre. J’attendais, à l’affut, le cœur palpitant car les choses n’étaient pas très jolies dans ce lieu secret qu’elle avait forcé. Doucement, après ce qui me parut des heures, j’entendis ma mère me murmurer :
« Mon enfant, je vois le doute. Tu veux me laisser là, comme les autres. Tu commences à envisager la fuite, à vouloir tourner le dos à la laideur de cet endroit, à la médiocrité et à l’égoïsme de ceux qui ont fait le serment de découvrir mes maux et de les traiter. Je discerne beaucoup de choses dans tes yeux : la fatigue, le dégoût, la révolte, l’impuissance aussi de ne pouvoir faire mieux pour moi. Tu cherches à distinguer ce qu’il y a par-delà les murs de ce lieu macabre, puant la mort. Tes entrailles ont faim de paix, de beauté, de justice, de respect de soi et de l’autre, de loisirs et de bien-être, de sécurité et de quiétude. Tu rêves d’explorations, de « Upendi », de « Hakuna Matata », de « Je travaille, je dépense mais j’arrive à épargner » ou de « je travaille pour améliorer mes conditions de vie ». Tu en as assez que je sois étendue sur ces draps qui ont fait leur temps et que les préposés entretiennent au lieu de changer. Je suis consciente de cette lutte entre ta raison et ton cœur. En même temps, je te suis reconnaissante d’être encore à mes côtés car tu me donnes la force de résister toujours à la Faucheuse. J’ai besoin de toi pour m’aider avec tes plus jeunes frères et sœurs, ceux qui sont sans défense, innocents, pleins de vie et d’espoir. Ce sont eux qu’il te faut sauver… ce sont eux qu’il te faut sauver, mon enfant. »
Et elle retomba lourdement sur l’oreiller, vidée par cet effort de me parler. Des mouvements de lèvres me permirent de saisir : « Merci, mon … ». Le sommeil la gagna brusquement. Je restai pensive, un peu honteuse d’avoir été démasquée. Ma mère m’a tout donné et je ne suis même pas capable d’être vraiment présente pour elle quand elle est dans le besoin. Quel genre de fille suis-je donc !
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