Au tam-tam de mes déboires…

Je m’appelle Béatrice et au crépuscule, je suis une fille de la rue. Je vis au rythme de mes coups de reins, je transpire sous la chaleur des étreintes de mes admirateurs anonymes. Je déambule dans les couloirs souvent mal éclairés, au gré de mes amours interdites. Je suis une femme qui envoûte, une déesse qui ensorcelle. Chaque nuit, je laisse mon âme survoler la ville, je tisse ma toile et j’enveloppe mes proies, dans l’espoir d’arriver à les emprisonner pour toujours…

Mais hélas ! Ce voyage sans fin n’est pas sans risques, les turbulences sont légion. J’y laisse des plumes ; je me perds un peu plus chaque seconde. J’en oublie même jusqu’à mon histoire passée ; par exemple, que mon adresse n’a pas toujours été : sous le lampadaire de la Rue Bien-Aimé ; que je n’avais jamais, jusqu’à aujourd’hui, autant été mise à genoux ; que mes yeux savaient sourire ; que j’ai déjà inspiré l’amour véritable ; que mon nom de famille était respectable et respecté. Bref, mes expériences actuelles ont effacé tout souvenir de mon insouciance d’antan.

Je m’appelle Beatrice et je survis… Je survis dans un pays où la plupart du temps, tu dois monnayer tes charmes pour te sortir des mauvaises passes. C’est un pays où la médiocrité fait loi, où la violence fait rage. Je mène des vies parallèles : professeur le jour et courtisane la nuit. J’ai tout le temps la peur au ventre d’être découverte : que diraient mes élèves ? que penseraient leurs parents ? Malheureusement, ce salaire de misère qu’on m’offre pour cette chaire au lycée ne me laisse pas d’autre choix car il me permet à peine de payer le transport pour le mois. Ne parlons pas des arriérés de salaire que le système normalise. Sans ces faveurs d’un soir, je ne sais ce que serait ma vie.

Tam…tam…tam… mon cœur tressaute, mes pieds se soulèvent, mes mouvements deviennent lancinants, c’est le son du tambour qui m’entraine. Aujourd’hui, c’est dimanche et voilà la « bann toujou sou » qui approche. Je les attendais car avec eux, l’alcool coule à flots et je peux, l’espace de quelques heures, oublier mes tourments. Je sniffe un peu, j’attrape une bouteille de « tranpe » qui circule, je rentre dans la foule, abandonnant au coin de la Rue de la Joie les revers de mon existence pour sombrer dans la folie collective…

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