« Adieu Marc, mon chéri. Si je t’écris cette lettre, c’est par lâcheté car je n’ai pas eu le courage de te le dire en face. Je prends l’avion aujourd’hui, ma carte de résidence étant finalement arrivée. Ma mère m’attend, elle a gagné sur tous les tableaux. Oui, à cause d’elle, je sors de ta vie par la petite porte et à pas feutrés.
Mon amour, jusqu’à cette dernière seconde, je t’aime. Les souvenirs de tous nos moments ensemble torturent mon esprit et ne manqueront pas de me hanter longtemps. Notre histoire restera dans le musée de ma vie. Mon cœur se déchire à chaque mot que je couche sur le papier. Je suis désolée d’utiliser ce stratagème pour te fournir les explications concernant mon départ impromptu.
Marc, mon adoré, lorsqu’il y a six mois, maman m’appela pour m’annoncer que mon dossier était en passe d’être approuvé et que bientôt, je pourrai voyager, j’étais tellement contente !!! J’en ai donc profité pour lui parler de toi, de notre amour, des dispositions que j’allais prendre pour te permettre de me rejoindre au plus vite là-bas.
- Pas question, déclara-t-elle sur un ton cassant. Je n’ai pas déployé tous ces efforts afin qu’un homme vienne jouir d’un quelconque avantage sur ton dos et sur le mien !
En disant ces derniers mots, je compris qu’elle faisait allusion à mon père à qui elle avait donné la résidence aux Etats-Unis et qui, après deux ans, était parti vivre avec une autre femme. Jamais maman ne lui avait pardonné sa trahison…
- Mais maman, Marc est différent. Il m’aime !
- Ma fille, ma décision est sans appel. Je peux encore annuler mes démarches. Fais ton choix : Ton Marc ou ta carte verte. Appelle-moi demain soir pour me donner ta réponse.
Marc, mon cœur, cette nuit-là, j’ai pleuré tout ce que j’avais de larmes. Je me sentais comme ces femmes amoureuses de deux hommes : à la fin, il faut en choisir un. J’ai perdu le sommeil à force de réfléchir…
Je n’ai pas attendu le soir pour annoncer à ma mère que je renonçais à toi. Elle exigea que je signe un papier en présence de mon oncle avocat pour sceller ma promesse. Elle n’hésitera pas à l’utiliser, me menaça-t-elle.
Mon cher Marco, comment aurais-je pu faire autrement ? Quelle autre alternative s’offre à une fille comme moi dans un pays de plus en plus difficile ? Un pays dans lequel l’avenir des jeunes est, chaque jour, incertain. Deux ans depuis que j’ai eu ma licence en sciences administratives et toujours pas de boulot. 26 ans … et je dépends encore des transferts bimensuels de ma mère. Je ne vois pas d’autre solution. Je ne peux pas laisser partir cette opportunité. Tu comprendras, j’en suis sure. Tu vis toi aussi les turpitudes d’une vie en Haïti.
Marc, mon homme, lorsqu’on te livrera cette lettre, je serai déjà haut dans le ciel. Je le voulais ainsi afin d’éviter que l’on se voit une dernière fois. Cela n’aurait rendu les choses que plus amères pour moi. Cette injustice que je te fais aujourd’hui devait être vécue à distance l’un de l’autre car ton regard m’aurait fendue en deux. Au moins, maintenant, tu comprendras l’indifférence que je te témoignais (malgré moi, c’est certain !) depuis un temps. C’était ma façon d’amorcer la séparation. Pardonne-moi, je t’en supplie. Ma souffrance est identique à la tienne, je t’assure…
Adieu, mon amour.
Adieu, Marc mon adoré
Bernadette, celle qui t’aimera toujours. »
P.S : S’il faut haïr quelqu’un, haïssons les dirigeants de ce pays qui n’ont pas permis à l’amour de me garder sur la terre de mes ancêtres, là où palpitent mes entrailles. Ils m’ont poussée à l’exil, loin de toi et de mon Beau Roi Soleil.
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