Le fantôme

« J’ai quelqu’un d’autre dans mon cœur »
Voilà les mots avec lesquels il lui avait brisé le cœur ce samedi-là. Un an plus tard, Laila s’en rappela comme si c’était hier. Étendue sur la véranda, elle revit la fameuse scène au cours de laquelle le courage de lui annoncer son infidélité était finalement venu à Pierre. C’est vrai qu’il avait eu envers elle une attitude étrange pendant toute la semaine : tantôt amoureux, tantôt distant. Il avait même évité de l’embrasser la dernière fois qu’ils s’étaient vus. Et c’est ce dernier incident qui avait poussé Laila à lui demander des explications (qu’elle redoutait pourtant !) sur son attitude.
Il avait respiré un bon coup, l’avait regardée avec insistance, avant de lâcher la bombe : « Laila, j’ai noué des amitiés qui me sont devenues fatales. Toi et moi, ça ne peut plus continuer car je ne te mérite pas. » Elle n’en avait pas cru ses oreilles, tentant de rejeter ces aveux. Pourtant, un seul regard à son visage troublé avait contribué à la convaincre qu’il était sincère. Elle avait tenté de s’enfuir, loin de la maison de Pierre mais il l’avait retenue, de peur qu’elle ne commette une bêtise.
Il faut dire que se précipiter sous un camion avait traversé son esprit, tant la douleur était vive. Elle avait beaucoup investi dans cette relation, allant jusqu’à braver ses parents pour le faire accepter dans la famille. Et lorsque tout semblait aller pour le mieux, le voilà confirmant la mauvaise opinion que son père avait eue de lui. Oui, son paternel l’avait traité de vaurien, le déclarant inapte à la fréquenter elle, sa princesse. Amoureuse, elle lui avait tenu tête, défendant ses propres sentiments et les siens. Aussi, s’était-elle mordue le pouce en rentrant chez elle. Pourquoi avait-elle tant insisté pour imposer leur histoire ? Maintenant, comment allait-elle annoncer à toute la famille que leur couple n’était plus ?

Laila poussa un soupir. Comment avait-elle pu rester assise auprès de lui, à l’écouter lui raconter ses frasques, la manière dont il avait entretenu cette relation derrière son dos à chaque fois qu’elle était indisponible pour lui ? 12 mois avaient suffi pour qu’elle réalise à quel point elle avait été naïve. Elle avait compté sur leur amour pour surmonter tous les obstacles. Bien entendu, elle avait oublié qu’il était un jeune homme séduisant, fin danseur, avec le verbe facile et charmeur. De surcroit, il adorait sortir tous les week-ends alors qu’elle ne pouvait se le permettre, prise entre le travail et ses études.

Elle se souvint : elle avait pleuré toutes les larmes de son corps, envahie par l’écœurement, le désespoir et la rage. Elle l’avait traité de tous les noms et il avait tout encaissé sans un mot. Cette passivité lui avait même valu une gifle. Après avoir vidé son sac et lavé ses sentiments bafoués, elle avait ramassé ses affaires, sa dignité et avait filé, sans un regard en arrière. Ce fut énormément douloureux…

Un an plus tard, sur ce hamac, Laila se résolut à laisser partir ce fantôme de son passé et à tourner la page pour de bon. Cette trahison avait refroidi son enthousiasme pour les relations amoureuses et l’avait laissée sur ses gardes. A cause de cela, elle voyait le pire dès qu’un homme semblait s’intéresser de trop près à elle. Son paranoïa avait fait fuir tous ses prétendants. Et si elle ne voulait pas qu’Alexandre vienne grossir la liste de ces découragés, elle avait intérêt à se secouer et à recommencer à croire en l’Amour….