Port-au-Prince, le 20 septembre 2019
« Je vous jure, ces chauffeurs de moto sont fous ! Jamais je ne monterai à dos de moto !!! »
Ces paroles-là, je les prononçais à chaque fois que des cascadeurs motorisés se glissaient entre deux voitures, sous mes yeux effrayés. J’avais peur de leur audace, de leur témérité, de leur inconscience et de leur insouciance. Ils transportaient des gens comme s’ils étaient du bétail. C’était ahurissant !
20 septembre 2019 : manifestations de rue… barricades de toutes sortes … pneus enflammés… jets de pierres et de tessons de bouteilles…. Beaucoup de quartiers infranchissables … agression de passants… casse, pillage, incendies … Un cocktail d’incidents programmés en vue de régler sur le macadam un énième désaccord politique dans la liste déjà longue et vieille de deux siècles. D’ailleurs, il est de plus en plus évident qu’Haïti est passée de Perle à « Enfer des Antilles », Pays des « Walking Dead ». C’est un nom qui évoque le cauchemar, qu’on utilise pour faire peur aux enfants des expatriés quand ils se comportent mal sur leur terre d’accueil. C’est une vache dont les mamelles ne donnent plus rien. Bref, Haïti est un pays meurtri, hanté par la misère et la corruption.
Bon, revenons aux événements de cette journée où, sous la pression, aux aguets, je me suis rendue au travail. Je savais que j’aurais dû rester chez moi. Mais, responsabilités oblige !
J’y étais depuis à peine deux heures lorsque j’appris que certaines rues étaient déjà bloquées et qu’il fallait s’empresser de rentrer. Vite, deux autres filles et moi nous embarquâmes dans une « roulib » pour tenter de nous frayer un chemin jusqu’à notre maison.
Ô rage ! Ô désespoir ! voilà que tous les débouchés étaient barricadés avec des pneus qui fumaient, menaçants et suffocants. Les rues se vidaient des paisibles citoyens pour se remplir de gens haineux et hargneux. Pas moyen de joindre Delmas en voiture privée ou publique. Pas d’autre solution : il faut se rabattre sur les taxis-moto. Nous devenons alors trois héroïnes qui ont raté Vertières et pour lesquelles le « koupe tèt, boule kay » des temps modernes n’avait rien de glorieux.
Me voilà donc hissée derrière un chauffeur, filant à toute allure dans des artères clairsemées, récitant mes prières et me souvenant à la fois du jour où je m’étais dit : « M’pap janm monte moto sa yo » et du dicton « Il ne faut jamais dire jamais ».
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